mardi 3 juin 2008
Un objet, presque un symbole : des lunettes
Bien que 45 ans aient passé, le visage du "Père Espinasse", comme nous l'appelions, est resté gravé à tout jamais dans ma mémoire. Et si par je ne sais quel mystère du destin, il venait frapper à ma porte, je le reconnaîtrais sans peine. Et je serais très certainement aidée par ses lunettes. Ses lunettes, me direz-vous? Mais qu'avaient-elles de si particulier pour que dans mes souvenirs, elles fassent partie intégrante de son visage ? Allons, rappelez-vous !..... Elles n'avaient qu'une seule branche. Ah oui, vous vous souvenez maintenant, n'est-ce pas ?
Du fond de ma mémoire, je revois parfaitement le Père Espinasse, assis au bureau, le coude posé sur les cahiers qu'il corrigeait, retirant de sa main droite ses lunettes par leur unique branche - car, oui, c'était la gauche qui manquait - et laissant circuler son regard soupçonneux sur la classe pour découvrir l'auteur du bruit ou du chuchotement qu'il venait de percevoir. Si je n'y prends pas garde, je me sens encore épiée et ..... prête pour la punition ! 45 ans après.....
Je me suis longtemps demandé pourquoi ces lunettes n'avaient qu'une seule branche. Au début, j'ai cru qu'elles venaient juste d'être cassées et qu'elles allaient être très vite réparées. Car enfin, malgré mon jeune âge, je trouvais que des lunettes à une seule branche, ce n'était ni pratique ni esthétique. Et puis elles donnaient au visage du "Père Espinasse" un air que je jugeais bancal.... Le temps passant, j'étais de plus en plus intriguée par ces lunettes qui ne se réparaient pas et qui me faisaient un peu peur quand elles étaient soudain ôtées dudit visage. J'ai pensé aussi que c'était peut-être par avarice que leur propriétaire ne les emmenait pas chez l'opticien, sans toutefois y croire vraiment. J'ai fini par trembler un peu quand je le voyais les enlever de son nez et regarder la classe car je savais bien qu'une réprimande allait suivre. Mais j'ai fini par m'habituer . Comme vous tous, d'ailleurs, j'imagine ! Quel autre choix avions-nous ?
Je n'ai eu la solution de l'énigme qu'après avoir quitté le collège. Au cours de ma première année d'Ecole Normale, je suis retournée à Gelles et ai revu Monsieur Espinasse (ne disons plus le Père... puisque j'avais quitté les bancs du collège !) Je me souviens avec émotion du goûter qu'il m'offrit ce jour-là et j'ai passé un agréable moment en sa compagnie. Il n'était plus le maître et je n'étais plus l'élève. Je me suis d'ailleurs tellement sentie en confiance que j'ai osé....oui, j'ai osé lui demander pourquoi ses lunettes n'avaient qu'une seule branche et surtout pourquoi il ne les avait jamais fait réparer. Il m'a tout simplement répondu que de cette façon, il était plus facile de les retirer de son nez et de les y remettre. La surveillance, m'a-t-il confié ce jour-là, s'en trouvait facilitée.
Ces lunettes étaient donc ce que j'avais deviné sans toutefois en être sûre, un instrument d'inquisition en quelque sorte.
Est-on en droit d'imaginer le Père Espinasse ôter lui-même une branche à ses lunettes, et la gauche bien entendu puisqu'il était droitier ? Je pense que oui, on peut l'imaginer....
Françoise C.
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